Bonjour,
Ça va sans doute surprendre quelques personnes que ce soit moi qui ouvre ce topic, puisque j'ai plusieurs fois indiqué ne pas croire à la primauté des questions confessionnelles par rapport aux intérêts économiques dans certaines tensions géopolitiques voire conflits armés en cours.
Malgré tout, l'islam représente 1,7 milliards de personnes dans le monde et on est bien obligés de constater que contrairement à il y a un siècle où l'Europe était l'épicentre de tous les conflits, cette fois les zones de guerre sont principalement des régions du monde où l'islam est très présent (Moyen-orient, Asie du Sud, Mali, Centrafrique...)
En plus de ça, l'islam est devenu aujourd'hui en France et en Europe un des sujets politiques majeurs. C'est bien sûr la question des attentats qui a conduit à cette situation (surtout en France), mais aussi des polémiques régulières sur des sujets sociétaux récurrents (viande halal dans les cantines, port du voile, prières de rue, burkini...) qui contribuent à monter des communautés les unes contre les autres.
Quiconque ayant vécu en France ces 20 à 30 dernières années aura pu constater l'évolution de la communauté des français musulmans vers des formes de pratique religieuse différentes de ce que l'on avait connu jusqu'à présent (généralisation du hijab, pratiques alimentaires plus rigoristes...) contribuant à rendre plus visible la présence de l'islam en France, ce qui suscite des interrogations et parfois de la méfiance de la part du reste de la communauté nationale à propos de la compatibilité de l'islam avec la laïcité, la République, la démocratie.
Cette évolution n'est pas venue de nulle part. Elle a été encouragée par des mouvements politiques islamistes. D'abord les Frères musulmans à partir de la fin des années 80. Puis par l'Arabie saoudite qui finance la propagation de sa version wahhabite de l'islam et déclenchera notamment la guerre civile algérienne (puis celle de Syrie).
La France est un pays laïc, et même si une majorité de la population se déclare sans religion, nous gardons quelques références culturelles issues du christianisme qui nous empêchent justement de comprendre l'islam parce que nous cherchons à lui appliquer des grilles de lecture très influencées par le christianisme.
Le malaise et l'incompréhension ont été particulièrement sensibles ces dernières semaines lors de la publication par le Parisien d'un appel de 300 signataires semblant accuser d'une part l'islam d'être une religion intrinsèquement violente et demandant aux autorités de l'islam (lesquelles ?) de rompre avec le fondamentalisme et de "moderniser" le Coran.
Dans cette démarche des 300 signataires, ils sont à côté de la plaque sur tous les points :
D'abord l'islam, contrairement au catholicisme, a pour principe constitutif le respect de la divergence.
Rien que chez les sunnites, il y a 4 écoles de jurisprudence, 3 écoles théologiques, 1 école de gnose (le soufisme). Chez les chiites, pareil, au moins 3 écoles différentes. Plus les ibadites, et les wahhabites...
Les musulmans divergent donc sur pratiquement tous les sujets, y compris l'interprétation des textes, et ceci depuis les origines de l'islam puisque leur Prophète avait avalisé ce principe de respect de la divergence parmi ses Compagnons.
Ensuite, l'islam sunnite (ce sont la majorité des musulmans en France) n'a pas de clergé ni d'autorité épiscopale comparable au Vatican chez les catholiques. Il est donc illusoire d'espérer une quelconque "réforme" venue d'en haut. Même les "savants" de l'islam (des personnes ayant reçu d'un autre cheikh une autorisation d'enseigner l'une ou l'autre des sciences islamiques) n'ont d'autorité que sur ceux qui les suivent. Un cheikh mauritanien (malikite) n'aura ainsi aucune influence sur des musulmans originaires d'Inde ou d'Asie du Sud (hanafites) ni sur des musulmans originaires des Comores (chaféites).
Les signataires ont aussi une vision complètement faussée de qui sont les "modernistes" et les "fondamentalistes" dans cette affaire. Le seul courant réformateur de l'islam c'est le salafisme (lui-même subdivisé en plein de courants mais on va pas compliquer...)
Depuis le 19ème siècle, les salafis contestent ce qu'a été l'islam durant plus de 1000 ans, et veulent notamment la disparition des écoles juridiques qui ont été la colonne vertébrale de l'islam. Ils veulent abolir le principe de divergence, et instaurer une lecture unique des textes, mais pas du tout dans un sens progressiste ! Ce sont les plus rigoristes en matière de pratique, les plus intolérants vis à vis des non-musulmans mais aussi des musulmans qu'ils jugent trop "mous", et c'est parmi eux (les salafo-wahhabites) que sont nées les diverses mouvances jihadistes comme Al Qaida ou Daesh s'appuyant sur un littéralisme désseché dans l'interprétation des textes. Bref, la "réforme religieuse" qui est le projet des salafis (environ 3% de l'islam) ne va pas aller du tout dans le sens de ce qu'espèrent "les 300" de ce manifeste !
Adrien Candiard, frère dominicain installé au Caire, avait écrit un bouquin intitulé "Comprendre l'Islam - ou plutôt : pourquoi on n'y comprend rien".
Je ne l'ai pas lu, mais je viens de voir son interview par un journaliste de Mediapart (40 minutes) qui dénote une très bonne connaissance de l'islam, qui change vraiment du simplisme des habituels "experts" de plateaux télé.
L'islam qu'il présente est quelque chose de complexe, mais ça vaut le coup d'essayer de comprendre.
https://www.youtube.com/watch?v=mY67knsq-4M