Depuis la décision choc de Nixon, le billet vert conserve son hégémonie sur la planète. Jusqu’à quand?
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POLITIQUE MONÉTAIRE C’était un
dimanche, comme cette année. Il y
a cinquante ans, le 15 août 1971, le
président américain Richard Nixon
interrompait le feuilleton télévisé
du soir pour annoncer la suspension
« temporaire » de la convertibilité
du dollar en or. Cette décision, dont
on se souvient comme du « choc
Nixon » et sur laquelle on n’est fina-
lement jamais revenu, marque la fin
définitive d’un système monétaire
garanti par des réserves d’or, hérité
de la fin du XIXe siècle.
L’étalon-or, qui lie la quantité de
monnaie en circulation au montant
d’or détenu, avait déjà volé en
éclats avec la Première Guerre
mondiale. En 1944, les accords de
Bretton Woods réorganisent un
système international de changes
fixes, fondé sur la convertibilité du
dollar en or, établie à 35 dollars
l’once.
Ce tournant majeur initié par
Nixon a donné les mains libres aux
États dans leurs politiques écono-
miques et monétaires - liberté dont
ils ont fait un usage illimité durant la
crise actuelle du Covid.
« Le système de l’étalon-or avait
une vertu extraordinairement stabilisante », rappelle Patrick Artus,
chef économiste de Natixis. Un pays
en déficit commercial extérieur
perd automatiquement des réser-
ves monétaires et doit donc mener
une politique économique restricti-
ve pour réduire son déficit. C’est le
paradoxe que rencontrent les États-
Unis dans les années 1960 : le dollar
inspire confiance, les autres pays
en achètent donc pour leurs réser-
ves monétaires. Du coup, les Amé-
ricains n’ont plus assez de stocks
d’or par rapport aux quantités
de dollars détenus à l’extérieur,
ce qui contraint leurs marges de
manœuvre économiques. Or, en
pleine guerre du Vietnam, face à
des menaces de récession, Richard
Nixon veut augmenter les dépenses
publiques. La fin de la convertibili-
té lui permet immédiatement de
dévaluer le dollar pour compenser
le déséquilibre commercial améri-
cain, et de regagner de l’autonomie
en matière économique et moné-
taire. Les changes deviennent vo-
latils, le dollar se déprécie.
Prix de cette décision, une forme
de désordre des politiques monétai-
res règne sur la planète. Mais rares
sont ceux qui, aujourd’hui, appelle-
raient à un retour à l’étalon-or ou à
un équivalent, malgré quelques pis-
tes évoquées, dont celle des droits
de tirages spéciaux (DTS) du FMI.
Création de l’euro
À l’échelle européenne, la création
de l’euro a visé à répondre à ce be-
soin de coordination internatio -
nale, quitte à mettre à mal la néces-
saire corrélation entre politiques
budgétaire et monétaire, faute de
budget de la zone euro. Depuis, si la
devise européenne s’est arrogé un
cinquième des réserves de changes
mondiales (voir graphique), le dollar
conserve peu ou prou son hégémo-
nie. Celle-ci s’est certes érodée, de
71 % lors de la création de l’euro, à
59 % aujourd’hui. Cela traduit, en
partie, la réduction de la place des
États-Unis dans l’économie mondiale. Sans toutefois refléter en pro-
portion l’essor de la Chine, dont le
yuan ne pèse guère plus de 2 % dans
les réserves mondiales. Moralité : la
confiance dans le dollar s’est main-
tenue, malgré des politiques moné-
taires de moins en moins conven-
tionnelles de la Réserve fédérale.
Et l’or, dans tout ça ? Les réserves
des banques centrales sont, désor-
mais, pour l’essentiel, constituées
de devises. Depuis la fin de la
convertibilité, les vieilles puissan-
ces comme les États-Unis, l’Alle-
magne, la France ou l’Italie ont eu
tendance à réduire la part de leurs
actifs dans ce métal précieux. À
l’inverse de pays émergents, com-
me la Chine ou la Russie, qui ont
acheté de l’or à gogo, dans une logi-
que à la fois de souveraineté et de
diversification patrimoniale.
Au début de la crise du Covid, en
mars 2020, la panique sur les mar-
chés financiers et la tempête éco-
nomique ont engendré une ruée
vers l’or, qui l’a propulsé à un
pic historique en août 2020, à
1 900 dollars l’once ou 55 000 euros
le kilo. L’euphorie est retombée
depuis, avec la perspective de sor-
tie de la crise.
L’avènement des cryptos
« Le Covid a accéléré un phénomène
de méfiance du public vis-à-vis de la
création monétaire, analyse Laurent
Schwartz, directeur du Comptoir
national de l’or. Ce n’est pas un tsu-
nami mais cela fait son chemin de fa-
çon rampante. Jusqu’ici, tout va
bien, mais jusqu’où peut-on tirer sur
la ficelle sans qu’elle se casse ? »
« Les banques centrales créent des
montagnes de monnaie sans se pré-
occuper de l’effet sur la liquidité »,
souligne Patrick Artus. À l’heure
de bouleversements économiques
majeurs, faut-il retrouver un nou-
vel étalon ? Si d’aucuns y voient
l’avènement des cryptoactifs com-
me le bitcoin, leur volatilité l’em-
pêche a priori. En revanche, une
monnaie privée corrélée aux devi-
ses, comme le projet de stablecoin
Diem de Facebook, pourrait, à ter-
me, devenir une nouvelle réserve
de change. D’où l’urgence des ban-
ques centrales, dont la Fed, à re-
prendre la main sur le terrain des
monnaies virtuelles.