Cet article de Charles Gave montre une nouvelle fois à quel point les libéraux (au sens économique du mot, bien que Gave s'en défende) sont aveugles sur une partie du processus en train de se mettre en place.
Charles Gave ne voit le mal dans la surveillance généralisée des citoyens que lorsqu'elle est opérée par l'Etat. Déjà ce n'est que la pointe émergée de l'iceberg, 90% du problème restant sous la surface. Ensuite c'est mal comprendre la nature de l'Etat, instrument parmi d'autres au service de la domination de classe.
"L'Etat de Droit" dont parle Gave n'a jamais existé en réalité. Bien avant l'invention de l'informatique, le contrôle social reposait sur d'autres outils (étatiques ou non-étatiques) avec la même intention totalitaire. Les outils à disposition de l'oligarchie étaient simplement plus rudimentaires.
Et bien que les législations deviennent de plus en plus répressives et coercitives (abolition de la présomption d'innocence, interception des communications, fin du secret bancaire, criminalisation du cash...) tout cela est plutôt bien accepté par la population dans son ensemble, habituée depuis longtemps à collaborer elle-même à sa propre surveillance.
Les piteuses justifications d'intérêt public (lutte contre le terrorisme, la fraude fiscale, le blanchiment d'argent, etc) ne sont même pas ce qui conditionne cette acceptation globale des politiques sécuritaires. N'importe qui regardant objectivement l'origine de ces lois se rend bien compte que ce sont des lobbies privés (et notamment le lobby bancaire) qui en sont les instigateurs et principaux bénéficiaires.
C'est toute une politique d'hégémonie culturelle qui a permis de rendre les peuples demandeurs de leur propre servitude, et notamment la glorification culturelle de la "transparence". Depuis bien avant Cahuzac, la transparence de tous est devenue la norme sociale et même une valeur positive, alors que c'était la base même des régimes stalinien et nazi.
Depuis 15 ans sont nées des multinationales de l'information comme Google ou Facebook, plus puissantes et plus intrusives que ne l'ont jamais été des agences étatiques telles que la NSA, la CIA, le KGB. Aujourd'hui, les gens remplissent
volontairement des fiches de police ultra-détaillées sur eux-mêmes (religion, opinions politiques, préférences sexuelles...) qui feraient pâlir d'envie l'ancienne Stasi. Vous avez des préférences sexuelles atypiques ? Les cacher serait suspect, vous êtes donc désormais obligé d'étaler l'intimité de votre chambre à coucher sur la place publique. La religion et les croyances, une affaire privée selon les conceptions anciennes de la laïcité ? Plus maintenant, il faut au contraire afficher publiquement vos croyances ou non-croyances, partout et en toute occasion.
Cette idéologie de la transparence est une idéologie totalitaire, mais la plupart des combats pour le droit à l'opacité ont déjà été perdus dans les "démocraties". Et c'est avant tout une réussite de firmes privées, pas seulement des Etats.
Si l'on avait expliqué à l'homme du 20ème siècle que dans un futur hypothétique une même entreprise privée (appelons là par exemple Google) prendrait en charge le traçage de tous ses déplacements, le recensement de tous les commerces ou lieux publics qu'il fréquente avec pointage des dates et heures de passage et détail des achats effectués, la lecture et l'analyse de tous les courriers qu'il envoie ou reçoit y compris ses relevés de compte bancaire, le fichage de ses habitudes de consommation, lectures, opinions, croyances, orientations sexuelles, la copie et l'archivage de ses albums de famille, celui de son agenda personnel et professionnel, la surveillance de la fréquentation de son petit commerce..., cet homme du 20ème siècle ne pourrait évidemment pas croire qu'un scénario aussi apocalyptique puisse sortir d'ailleurs que du cerveau d'un mauvais auteur de science-fiction. Il croirait encore moins qu'un tel niveau de flicage puisse être réalisé par une seule compagnie privée, sans aucune injonction de l'Etat obligeant à la collecte des données, et soit basé uniquement sur le consentement volontaire et la passivité de la population.
Et pourtant tout cela existe bel et bien aujourd'hui et l'intrusion de la pieuvre Google dans nos vies ne suscite absolument aucune réaction des personnes espionnées (même parmi les plus farouches défenseurs du droit à la vie privée), qui collaborent au contraire pleinement à leur propre fichage via les
divers outils de contrôle de la multinationale : Gmail, moteur de recherche, Google Analytics, Androïd, Google Agenda, Google Docs, Google Contacts, Google Photos, Google+, Google Playstore, Google MyBusiness....
C'est parce que ce combat pour le
droit à l'opacité a déjà été perdu sur un plan culturel que toutes les lois les plus liberticides possibles vont maintenant pouvoir passer comme des lettres à la poste, et encore cette offensive sur le plan législatif n'est même pas le pire comparé à ce que font déjà en toute impunité des firmes privées.
Résister est difficile. Si vous vous cachez, vous êtes désormais considéré comme coupable a priori. La rétention d'information et les méthodes habituelles telles que le cryptage atteignent donc leurs limites comme stratégie défensive. Les méthodes algorithmiques telles que celles des "boîtes noires" qui seront prochainement installées sur tous les sites Internet français permettront certainement de détecter immédiatement ceux qui se cachent de la surveillance, les mettant en première ligne des listes de suspects à constituer. On en viendra un jour au fait de considérer comme suspecte (et donc coupable) toute personne n'ayant pas fait son quota de recherches google par jour ou de conneries postées sur facebook par mois.
En fait le meilleur moyen de brouiller leurs algos de surveillance policière pourrait être de pratiquer une certaine forme de sabotage, au lieu de faire de la retention d'information, leur fournir au contraire de l'info, beaucoup d'info, mais fausse et souvent contradictoire afin de les saturer et de les faire finalement douter de l'efficacité de leurs programmes.
Par exemple, à chaque fois qu'une de mes banques m'a demandé de remplir des questionnaires sur mes revenus et mon patrimoine, j'ai toujours répondu de bon gré mais en fournissant des réponses 100% fausses et différentes d'une banque à l'autre.
Ou lorsqu'un banquier me demande l'origine ou la destination d'un retrait ou dépôt d'espèces, je mens à chaque fois également. Je préfère de loin que mon banquier me croie addict au poker ou autres jeux d'argent plutôt qu'il sache que j'achète de l'or, ou pire me dénonce à Tracfin parce que j'aurais refusé de répondre (bien que ce soit mon droit).
Je réflechis aussi à des manières de brouiller les pistes sur les réseaux sociaux, avec par exemple des modifications fréquentes et plus ou moins aléatoires d'un profil Facebook. Du genre, à la case Religion, indiquer bouddhiste les mois impairs, catholique les mois pairs et juif pour les fêtes de Noël (jamais athée ni musulman bien sûr, je suis pas fou).
Situation matrimoniale et nombre d'enfants, là encore des réponses toujours fausses changées toutes les semaines mais restant en moyenne proche du taux de natalité moyen. Ils veulent des photos de moi ? Les banques d'images sont mes amies... Ça peut être une manière différente de resister au flicage en faisant semblant de coopérer.